« Après leur avoir ainsi parlé, le Seigneur Jésus s’éleva au ciel ; et il siège à la droite de Dieu. » Nous savons par l’Ancien Testament qu’Elie a été ravi au ciel .
Mais outre le ciel aérien, il y a le ciel éthéré. Le ciel aérien est proche de la terre : ainsi, nous parlons des oiseaux du ciel, parce que nous les voyons voler dans les airs. Or c’est dans ce ciel aérien qu’Elie a été élevé pour être conduit soudainement dans une région secrète de la terre, où il vit dans un grand repos de la chair et de l’esprit jusqu’à ce qu’il revienne à la fin du monde et acquitte sa dette envers la mort.
S’il a en effet remis sa mort à plus tard, il n’y a pas échappé. Notre Rédempteur, au contraire, n’ayant pas remis sa mort à plus tard, en a été vainqueur ; il a détruit la mort en ressuscitant, et manifesté la gloire de sa Résurrection en montant au ciel. Il faut encore noter qu’Elie, d’après ce que nous lisons, est monté au ciel dans un char : cela montrait bien que n’étant qu’un homme, il avait besoin d’une aide extérieure. Ces secours et les signes qui nous les révèlent sont le fait des anges : Elie, appesanti qu’il était par la faiblesse de sa nature, ne pouvait monter par lui-même au ciel, fût-ce le ciel aérien. Quant à notre Rédempteur, on ne lit pas qu’il fut élevé par un char ou par les anges : celui qui avait tout créé n’avait besoin que de sa propre puissance pour se voir porté au-dessus de tout. Il s’en retournait là où il était déjà ; il s’en revenait de là où il demeurait, puisque lors même qu’il montait au ciel par son humanité, il contenait à la fois la terre et le ciel par sa divinité.
. De même que Joseph, vendu par ses frères, a figuré la vente de notre Rédempteur, Enoch, transporté (cf. Gn 5, 24), et Elie, élevé au ciel aérien, ont symbolisé l’Ascension du Seigneur. Ainsi, le Seigneur eut des précurseurs et des témoins de son Ascension, l’un avant la Loi, l’autre sous la Loi, pour que vînt un jour celui qui serait capable de pénétrer vraiment dans les cieux. D’où l’ordre qui existe entre l’élévation du premier et celle du second, lesquelles se distinguent par une certaine gradation.
Car on nous rapporte qu’Enoch fut transporté, et Elie élevé au ciel, pour que vînt ensuite celui qui, sans être ni transporté ni élevé, pénétrerait dans le ciel éthéré par sa propre puissance. Par le transfert de ces deux serviteurs qui symbolisaient son Ascension, puis en montant lui-même au ciel, le Seigneur a voulu aussi manifester qu’il allait nous accorder, à nous qui croyons en lui, la pureté de la chair, et faire croître par son aide la vertu de chasteté à mesure que les temps se développeraient. Enoch eut en effet une épouse et des fils. Par contre, on ne lit nulle part qu’Elie ait eu une épouse et des fils. Mesurez donc par quels degrés la sainte pureté s’est accrue, d’après ce que ces serviteurs transportés et le Seigneur en personne dans son Ascension nous font voir clairement : Enoch, qui fut engendré par une union charnelle, et qui engendra de la même manière, fut transporté ; Elie, qui fut engendré par une union charnelle, mais qui n’engendra pas lui-même de cette façon, fut enlevé ; quant au Seigneur, qui n’engendra pas ni ne fut engendré par une union charnelle, il s’éleva au ciel [par sa propre puissance].
7. Il nous faut aussi considérer pourquoi Marc affirme : « Il siège à la droite de Dieu », alors qu’Etienne dit : « Je vois les cieux ouverts, et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu. » (Ac 7, 56). Pourquoi Etienne assure-t-il le voir debout, alors que Marc le voit assis ?
Mais vous le savez, mes frères : siéger convient à celui qui juge, se tenir debout, à celui qui combat ou qui vient au secours. Puisque notre Rédempteur, élevé au ciel, juge dès à présent toutes choses, et qu’à la fin des temps il viendra en Juge universel, Marc nous le représente siégeant après son élévation, puisqu’au terme, après avoir été glorifié en son Ascension, il apparaîtra en Juge. Etienne, lui, en proie aux souffrances du combat, vit debout celui qui le soutenait : pour qu’il pût triompher de l’incroyance de ses persécuteurs sur la terre, Dieu combattit pour lui du haut du Ciel en le secondant de sa grâce. 8. Le texte poursuit : « Pour eux, ils s’en allèrent prêcher en tout lieu, le Seigneur travaillant avec eux et confirmant la Parole par les signes qui l’accompagnaient. »
Que devons-nous considérer en cela, que devons-nous en confier à notre mémoire, sinon que l’ordre du Seigneur fut suivi d’obéissance, et l’obéissance de miracles ? Mais puisque Dieu nous a guidé pour parcourir avec vous ce passage d’Evangile en l’expliquant brièvement, il ne nous reste plus qu’à vous faire part de quelques considérations sur la grande solennité [d’aujourd’hui].
9. Il faut d’abord nous demander pourquoi nous ne lisons pas [dans l’Evangile] que les anges apparus après la naissance du Seigneur se fussent montrés vêtus de blanc, alors que nous le lisons de ceux envoyés lors de son Ascension, comme le dit l’Ecriture : « Tandis qu’ils le regardaient, il fut élevé, et une nuée le déroba à leurs yeux.
Et comme ils avaient leurs regards fixés vers le ciel pendant qu’il s’éloignait, voici que deux hommes parurent auprès d’eux, vêtus de blanc. » (Ac 1, 9-10). Les vêtements blancs manifestent au-dehors la joie et la fête de l’esprit. Pourquoi donc les anges n’apparurent-ils pas vêtus de blanc après la naissance du Seigneur, mais vêtus de blanc lors de son Ascension, sinon parce que l’entrée au Ciel du Dieu fait homme a constitué pour les anges une grande fête ? Si par la naissance du Seigneur, la divinité semblait abaissée, par son Ascension, l’humanité a été glorifiée. Or des vêtements blancs conviennent mieux à une glorification qu’à un abaissement. Les anges devaient donc se montrer vêtus de blanc au moment où le Seigneur montait [au ciel], puisque celui qui dans sa naissance était apparu comme un Dieu abaissé se manifestait dans son Ascension comme un homme glorieusement élevé.
Mais en cette solennité, frères très chers, il nous faut considérer avant tout que le décret qui nous condamnait a été aujourd’hui abrogé, et abolie la sentence qui nous vouait à la corruption. Car cette même nature à qui il avait été dit : « Tu es terre, et dans la terre tu iras » (Gn 3, 19), est aujourd’hui montée au ciel. C’est en vue de cette élévation de notre chair que le bienheureux Job, parlant du Seigneur d’une manière figurée, le nomme un oiseau. Considérant que le peuple juif ne comprendrait pas le mystère de l’Ascension, Job déclare à propos du manque de foi de ce peuple : « Il n’a pas reconnu la route de l’oiseau. » (Jb 28, 7).
C’est à juste titre que le Seigneur a été appelé « oiseau », puisque son corps de chair s’est élancé vers l’éther.
Celui qui n’a pas cru à l’Ascension du Seigneur au ciel n’a pas reconnu la route de cet oiseau.
C’est de la fête d’aujourd’hui que le psalmiste affirme : « Ta magnificence s’est élevée au-dessus des cieux. » (Ps 8, 2). Et encore : « Dieu est monté au milieu d’une grande joie, le Seigneur au son de la trompette. » (Ps 47, 6). Et enfin : « Montant sur les hauteurs, il a emmené en captivité notre nature captive ; il a offert des dons aux hommes. » (Ps 68, 19). Oui, montant sur les hauteurs, il a emmené en captivité notre nature captive, puisqu’il a détruit notre corruption par la puissance de son incorruptibilité. Il a également offert des dons aux hommes : ayant envoyé du Ciel l’Esprit, il a accordé à l’un une parole de sagesse, à un autre une parole de science, à un autre le pouvoir d’opérer des miracles, à un autre le don des guérisons, à un autre la diversité des langues, à un autre l’interprétation de la parole (cf. 1 Co 12, 8-10). Il a donc bien offert des dons aux hommes.
C’est aussi de cette glorieuse Ascension que [le prophète] Habacuc a dit : « Le soleil s’est élevé, et la lune s’est maintenue à sa place. » (Ha 3, 11, d’après les Septante). En effet, que désigne le prophète par le terme de soleil, sinon le Seigneur, et par le terme de lune, sinon l’Eglise ? Tant que le Seigneur ne s’était pas encore élevé dans les cieux, sa sainte Eglise était paralysée par la crainte des oppositions du monde, tandis qu’après avoir été fortifiée par son Ascension, elle s’est mise à prêcher ouvertement ce qu’elle avait cru en secret. Le soleil s’est donc élevé, et la lune s’est maintenue à sa place, puisque le Seigneur ayant atteint le Ciel, l’autorité de la prédication de sa sainte Eglise s’en est accrue d’autant. Au sujet encore de l’Ascension, Salomon prête à cette Eglise la parole suivante : « Le voici qui vient, bondissant sur les montagnes et franchissant les collines. ».
Considérant les points saillants des grandes œuvres du Seigneur, l’Eglise dit : « Le voici qui vient, bondissant sur les montagnes. » Car le Seigneur, en venant pour nous racheter, a exécuté, si je puis dire, des bonds. Voulez-vous les connaître, ces bonds, frères très chers ? Du Ciel il est venu dans le sein [de la Vierge], du sein [de la Vierge] dans la crèche, de la crèche sur la croix, de la croix au sépulcre, et du sépulcre il est retourné au Ciel. Voilà les bonds que la Vérité manifestée dans la chair a accomplis en notre faveur, pour nous faire courir à sa suite, car « le Seigneur s’est élancé joyeux comme un géant pour parcourir sa voie » (Ps 19, 6), afin que nous puissions lui dire de tout notre cœur : « Entraîne-nous après toi, et nous courrons à l’odeur de tes parfums. »
. Il nous faut donc, frères très chers, suivre le Seigneur par le cœur là où nous croyons qu’il est monté par le corps. Fuyons les désirs terrestres, et que rien parmi les choses d’ici-bas ne puisse désormais nous séduire, nous qui avons un Père dans les cieux. Considérons bien que celui qui s’est élevé au ciel tout pacifique sera terrible lors de son retour, et que tout ce qu’il nous a commandé avec douceur, il l’exigera alors avec rigueur. Faisons donc tous grand cas du temps qui nous est accordé pour faire pénitence ; prenons soin de notre âme tant que c’est possible. Car notre Rédempteur reviendra nous juger d’autant plus sévèrement qu’il se sera montré plus patient avant le jugement.
Souciez-vous donc de ces choses, mes frères, et ressassez-les en toute sincérité. Bien que votre âme soit encore ballottée par le remous des affaires, (...!!!)
jetez pourtant dès maintenant l’ancre de votre espérance dans la patrie éternelle ;
affermissez l’orientation de votre esprit dans la vraie lumière.
Le Seigneur est monté au ciel, ainsi que nous venons de l’entendre ; méditons donc sans cesse ce que nous croyons.
Et si nous sommes encore retenus ici-bas par l’infirmité de notre corps, suivons cependant notre Dieu à pas d’amour.
Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui nous a donné un tel désir, ne le laissera pas sans réponse,
lui qui, étant Dieu, vit et règne avec Dieu le Père dans l’unité du Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles.
Amen.
St Grégoire le Grand.
"tournés vers les réalités d'En-Haut, avec l'Immaculée."
devise dom Antoine Forgeot.
père abbé émérite de Fontgombault.
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